Ondes acoustiques et élastiques
C’est autour de cette notion de cristaux phononiques que s’orientent une partie des activités de recherche menées au sein du département MN2S de FEMTO-ST. Ces matériaux artificiels sont donc composés de deux ou trois matériaux distincts, arrangés périodiquement dans deux ou trois dimensions de l’espace et permettent de contrôler la propagation des ondes acoustiques sous certaines conditions bien spécifiques. Comme la loi de Bragg impose une relation d’échelle directe entre la période de la structure et la gamme de longueur d’ondes potentiellement interdite, la dimension totale du cristal phononique
est directement conditionnée par la périodicité spatiale des oscillations acoustiques que l’on cherche à prohiber. Mais justement, quelle est la gamme d’existence de ces ondes ?
Les ondes acoustiques ou élastiques, telles qu’on les appelle lorsqu’elles se propagent dans un solide, s’observent au quotidien et à toutes sortes d’échelles : les mouvements de la croûte terrestre lors d’un séisme, la propagation du son dans l’air, la détection sous-marine par sonar, l’échographie ou encore les télécommunications sans fil, reposent sur ces ondes. La gamme de longueur d’ondes couverte est donc immense, du mètre dans le cas des séismes, au micromètre dans le cas des télécommunications radiofréquence et couvre tous les intermédiaires. Ces phénomènes de vibration s’observent même à l’échelle atomique : le transport de chaleur dans un matériau est lié à la propagation de phonons thermiques correspondant à une mise en vibration des atomes qui le composent.
Fig. 2 : Fréquences et domaines d’application des ondes acoustiques et élastiques. |
A cette notion de longueur d’onde, il convient d’associer celle de fréquence, plus communément utilisée en acoustique. Fréquence ν, longueur d’onde λ et vitesse v sont liées : la longueur d’onde s’obtient simplement enfaisant le rapport entre vitesse de propagation de l’onde et fréquence. Les vitesses de propagation en acoustique sont faibles si on les compare aux ondes électromagnétiques ou à la célérité de la lumière (c ≈ 3x108 m/s). Les ondes les plus rapides se propagent dans les matériaux les plus rigides, comme le diamant, à une vitesse de l’ordre de 10 000 m/s seulement. Le son dans l’air se propage, lui, à une vitesse d’environ 341 m/s. Les fréquences des ondes acoustiques sont donc en moyenne bien plus basses que celles de leurs homologues électromagnétiques. Les longueurs d’onde peuvent en revanche être comparables. Une onde élastique radiofréquence, comme celles employées dans les réseaux Wi-Fi (ν = 2,4 GHz) se propageant dans un solide à une vitesse de quelques milliers de mètres par seconde aura une longueur d’onde de l’ordre du micromètre. Or il s’agit là typiquement des longueurs d’ondes optiques : le spectre de la lumière visible s’étend de 400 nm à 800 nm environ (0,4 à 0,8 µm), les télécommunications par fibre optique reposent sur des ondes optiques de longueur d’onde égale à 1,55 µm. Il paraît de ce fait possible de parvenir à des structures capables de confiner ondes acoustiques et optiques, ou son et lumière, simultanément.
Quelques notions d'échelle
Les cristaux phononiques peuvent donc prendre les formes les plus variées. On peut par exemple imaginer que des arbres à troncs de diamètre régulier, plantés périodiquement sur plusieurs rangées puissent bloquer la propagation de certaines fréquences du spectre audible : si un quatuor de cordes s’exerce d’un côté de cette forêt ordonnée, seuls violon et contrebasse pourront être perçus par un auditeur, les fréquences du violoncelle et de l’alto étant interdites par le cristal phononique. La première démonstration expérimentale du phénomène a d’ailleurs été réalisée dans ce domaine des fréquences audibles en s’appuyant sur un objet existant, en l’occurrence une sculpture de l’artiste espagnol Eusebio Sempere. Parmi ses nombreuses œuvres, on peut compter plusieurs travaux relatifs à la manipulation de la lumière et des perspectives dans des sculptures statiques ou des mobiles de tiges d'acier chromé. L’une d’entre elle, Órgano, a permis au groupe de chercheurs de l’Université de Polytechnique de Valence et de Institute de Ciencia de Materiales de Madrid, mené par F. Meseguer, de mesurer pour la première fois une bande interdite phononique. Des tiges d’acier de diamètre de l’ordre du millimètre plongées dans une cuve d’eau peuvent permettre l’observation du phénomène à des fréquences de l’ordre du MHz, relevant cette fois-ci du domaine de l’échographie. A plus petite échelle, par exemple à l’échelle du micromètre, une des méthodes de réalisation les plus simples consiste à venir percer des trous dans un matériau solide en utilisant des techniques de microfabrication en salle blanche, notamment.
Néanmoins, pour observer ces effets de bandes interdites, la périodicité seule ne suffit pas. Dans tous les cas cités précédemment, les cristaux phononiques étaient obtenus par alternance de deux matériaux présentant des propriétés très distinctes : bois ou acier dans l’air, acier dans l’eau, ou air dans solide. Les deux matériaux constitutifs diffèrent en fait en termes de constantes élastiques et de densité, des grandeurs physiques qui traduisent la rigidité d’un matériau. Dans le cas des électrons et des bandes interdites électroniques, c’est l’alternance du potentiel électrique, liée à la répartition de charges positives et négatives dans le cristal naturel qui va conduire à l’apparition de ces bandes proscrites. En optique, dans les cristaux photoniques, c’est le contraste d’indice de réfraction qui va être déterminant pour l’obtention de bandes interdites pour les ondes optiques. En définitive, dans tous les cas, il faut s’assurer d’une différence de vitesse de propagation des ondes conséquente entre les deux matériaux et donc allier un matériau rapide à un matériau lent.